20 décembre 2018

L’intelligence artificielle au service des collectivités

La publication de la Déclaration sur l’intelligence artificielle (IA), le 4 décembre dernier, marque l’aboutissement de plus d’un an de consultations. Les dix principes que contient cette déclaration, visant à orienter les scientifiques, les entreprises et les élus, nous rappellent que l’IA est un outil puissant qui peut être mis au profit de la société dans la mesure où il est développé et déployé éthiquement, de façon accessible et au profit de tous.

Ce n’est pas sans rappeler les positions du mouvement de l’économie sociale quant à l’utilisation de toute ressource, qu’elle soit naturelle ou non. En effet, l’inclusion d’une diversité de parties prenantes dans un projet de développement, autour de sa gestion et dans le temps, assure que les projets répondent à de réels besoins et que les bénéfices de son développement reviennent à la communauté.

Ces enjeux sont d’autant plus importants en ce qui a trait au développement d’outils d’IA. D’abord, parce que ceux-ci voient le jour grâce à des investissements majeurs de fonds publics en recherche fondamentale. Il importe donc que les résultats de ces recherches, c’est-à-dire les outils d’IA et les retombées économiques de leur commercialisation, contribuent à accroître le bien-être des citoyens d’ici. Ensuite, puisque l’IA pourrait chambouler les façons de produire et de diffuser la richesse dans de nombreux secteurs – du manufacturier aux services aux citoyens- il importe de s’assurer que tout nouveau développement soit réfléchi et déployé dans une optique d’équité et de transparence.

La Déclaration sur l’IA, ainsi que l’annonce de la mise sur pied d’un Observatoire international sur les impacts sociaux de l’IA et du numérique sont deux avancées significatives et encourageantes en ce sens. Développées en collaboration avec des acteurs de la société civile, incluant le Chantier, ces initiatives traduisent une volonté de concertation pluripartite qui ne doit pas être prise pour acquis, mais qui s’inscrit dans la lignée de ce qui se fait de mieux au Québec : rassembler des représentants d’organisations de tous horizons pour réfléchir ensemble sur la façon de répondre à un nouveau défi commun.

Or, force est de constater qu’une fracture numérique encore importante empêche une grande partie des acteurs, qui pourraient contribuer à cette réflexion, d’y participer. D’une part, un nombre encore trop important de communautés n’ont pas accès à Internet haute-vitesse, limitant ainsi la capacité d’individus et d’entreprises à entreprendre le virage numérique, que ce soit pour la gestion de leurs affaires courantes ou pour de l’innovation. D’autre part, de nombreuses PME au Québec, dont les entreprises collectives, manquent d’informations et de ressources pour développer des outils leur permettant de tirer profit de l’IA et ainsi mieux répondre aux défis existants et au développement de nouvelles activités. En économie sociale, une enquête, menée par le CEFRIO en 2017, montrait que 21% des entreprises sondées n’avaient fait aucun investissement sur le plan du numérique dans les 12 derniers mois et que 49% d’entre elles avaient investi moins de 5 000$. Outre les sommes investies, il y a également un manque de compréhension quant aux bénéfices que peuvent générer ces investissements, tout particulièrement ceux liés à la valeur des données que colligent (ou pourraient colliger) les entreprises.

Déjà utiles pour rendre des comptes plus précis sur les actions de l’organisation et les publics qu’elle dessert, ces données peuvent devenir un véritable levier de développement à partir du moment où elles existent en nombre suffisant. Pour la plupart des PME, incluant les entreprises d’économie sociale, cela implique généralement de mutualiser des données entre organisations œuvrant dans un même territoire ou un même secteur. Le projet de mutualisation de données de plusieurs salles de spectacles, du Quartier des spectacles Montréal, qui jumelle deux dimensions (territoriale et sectorielle), illustre de manière éloquente ce que peuvent développer des entreprises théoriquement compétitrices, mais qui dans les faits ont tout à gagner en favorisant le déploiement d’une offre culturelle globale plus riche, plus accessible et plus appréciée. Dans le cas de projets qui visent à développer de nouveaux services au profit de la communauté, cela peut inclure les nombreuses données déjà colligées par les municipalités et qui gagneraient à être mieux exploitées selon une logique de bien commun. Dans tous les cas, ces mises en commun génèrent un bassin de données plus important et complet permettant de mieux cibler les demandes actuelles ainsi que les projets futurs.

Le développement de l’intelligence artificielle ouvre la voie à de nombreuses innovations technologiques. Il nous incombe à tous – gouvernements, citoyens et entrepreneurs- de multiplier les initiatives locales de s’assurer que ces initiatives seront mises à profit dans une logique de bien commun plutôt que de maximisation des profits de quelques actionnaires afin de pouvoir véritablement bénéficier collectivement de cette nouvelle révolution technologique.