24 mai 2018

Entreprise : À chacune sa forme juridique

Force est de constater qu’il y a un engouement croissant au Québec pour l’entrepreneuriat. D’une part, les Québécois ayant l’intention de démarrer un projet d’affaires n’ont jamais été aussi nombreux et, d’autre part, les mesures gouvernementales pour soutenir la relève d’entreprises et le développement de nouveaux projets se multiplient. On constate également un accroissement de l’intérêt pour l’entrepreneuriat à impact social et pour les modèles d’entreprises qui permettent de « faire autrement ». Lorsque les promoteurs de projets envisagent de démarrer leur entreprise, ils se retrouvent alors devant une multitude de modèles juridiques et ne disposent pas toujours de l’information nécessaire pour faire un choix éclairé quant à la forme qui convient le mieux à la mise en place et à la pérennité de leur projet d’affaires.

Au Québec, une entreprise peut être constituée selon différentes lois qui encadreront son existence juridique et qui auront une incidence sur son modèle économique et la fiscalité qui lui sera appliquée. Société d’état, société par actions, société en nom collectif, coopérative, organisme à but non lucratif (OBNL) ; le choix de la forme juridique devrait refléter la nature du projet et les intentions des promoteurs. Il est donc important que ceux-ci soit en mesure d’obtenir les informations pertinentes grâce, notamment, à des conseillers formés et à des outils variés pour soutenir le développement de ces entreprises, peu importe la forme juridique retenue par les promoteurs.

De par sa nature, l’entrepreneuriat collectif requiert une pluralité d’acteurs et implique un engagement différent de ceux-ci. En effet, la gouvernance étant fondée sur le principe 1 membre = 1 vote, ce n’est pas le capital investi qui déterminera les détenteurs du pouvoir décisionnel, mais bien l’intérêt des membres de la coopérative ou de l’OBNL. Dans ces cas, les décisions reflèteront la vision poursuivie par l’ensemble du groupe et assureront un contrôle collectif des surplus générés et, dans un sens plus large, de la destinée de l’entreprise.  

Pour cette raison, les entreprises collectives favorisent toujours l’intérêt de leurs membres ou de la communauté et leurs retombées sociales s’inscrivent dans leur ADN plutôt que de dépendre des valeurs ou intentions des propriétaires actuels de l’entreprise.

Les coopératives de producteurs, de consommateurs, d’utilisateurs ou de travailleurs répondent toutes à l’objectif de satisfaire un besoin économique, social ou culturel commun à l’ensemble de leurs membres. Pour y arriver, les membres partagent la propriété de l’entreprise, participent aux décisions sur sa gestion et, dans certains cas, reçoivent des ristournes basées sur leurs échanges avec la coopérative et non pas en fonction des sommes qu’ils y ont investies. Elles permettent donc de bénéficier de la force d’un regroupement pour réaliser différentes activités économiques ou mutualiser certaines ressources ou certains risques tout en s’assurant que les consensus servent la majorité et non les acteurs plus grands du groupe. Créées au Québec en 1998, il existe également les coopératives de solidarité qui permettent de jumeler les composantes des différentes formes de coopératives en regroupant plusieurs catégories de membres (au moins deux) et en ajoutant la possibilité d’adjoindre des membres de soutien, c’est-à-dire des personnes ou des sociétés intéressées à appuyer la coopérative dans l’atteinte de ses buts.

De son côté, la forme OBNL peut être utilisée lorsque le projet d’affaires prévoit l’implication de l’ensemble d’une communauté ou lorsqu’un groupe se rassemble autour d’une vision commune qui dépasse bien souvent l’activité économique principale. Les activités économiques réalisées par l’OBNL sont au service de la réalisation de la mission principale de l’organisme. Elles demeurent un moyen d’atteindre les objectifs de l’organisation et non une finalité en soi.

Peu importe la forme juridique choisie, les entreprises collectives permettent de maximiser les retombées économiques auprès des collectivités grâce au contrôle collectif de la propriété de l’entreprise et limitent les spéculations liées à la recherche de la maximisation du profit durant la vie de l’entreprise et même lors de la fin de ses activités ou à la suite d’un changement de propriétaire. Lorsqu’un OBNL met fin à ses activités, ses biens doivent être distribués à une autre personne morale qui partage les mêmes objectifs afin qu’ils puissent poursuivre l’atteinte de leur mission initiale. Lorsqu’une coopérative cesse ses activités, les biens non distribués aux membres sont remis à d’autres membres du mouvement coopératif afin de permettre la poursuite du développement de ce modèle économique. Toutes ces balises permettent d’assurer la continuité de la mission initiale et préviennent tout changement d’orientation qui résulterait d’un changement dans les priorités d’un propriétaire unique ou lors du changement de propriétaire suivant la vente de l’entreprise.

Malheureusement, le cadre réglementaire et législatif actuel « récompense » ou « pénalise » certaines formes juridiques en créant des distinctions entre les formes juridiques d’entreprises. De la même manière, certains fonds et certaines ressources privilégient des formes juridiques particulières en raison des programmes gouvernementaux offerts ou des a priori des partenaires financiers. Pourtant, le choix d’une forme juridique ne devrait pas dépendre de ces considérations, mais bien refléter l’engagement et les valeurs des promoteurs. Le Chantier de l’économie sociale souhaite que le développement de l’économie sociale passe par le déploiement du plus grand nombre d’initiatives collectives, dans la forme juridique qui soutiendra leur développement et, surtout, la viabilité et la pérennité des activités économiques des entreprises d’économie sociale.

Au Québec, on compte plus de 7 000 entreprises collectives ainsi que 212 000 travailleurs en économie sociale et le mouvement poursuit sa croissance. Les formes collectives d’entrepreneuriat demeurent relativement méconnues, font parfois l’objet de plusieurs préjugés, notamment sur leur capacité de gestion ou sur leur viabilité économique, et ne reçoivent pas encore toute l’attention qu’elles méritent, même de la part de plusieurs intervenants de l’écosystème de soutien mis en place pour appuyer le développement de l’entrepreneuriat sur le territoire québécois. Afin de permettre le renforcement du troisième pilier économique – complémentaire aux services publics et au marché privé à but lucratif – il demeure essentiel que les organismes chargés d’accompagner les futurs entrepreneurs soient en mesure d’orienter et de soutenir la réflexion entourant la structuration du projet d’affaires, mais aussi le choix de la forme juridique la plus appropriée pour atteindre les objectifs visés par les promoteurs. Sans diminuer la viabilité économique des entreprises, la gestion collective assure de véritables retombées sociales et offre une alternative pour le développement économique de nos communautés.